notes de lecture
Je suis en train d'achever la lecture d'un ouvrage particulièrement intéressant : "Les enfants du brouillard" de Jean-Claude Derey (éditions France Loisirs). Il s'agit d'une enquête à peine romancée et fort bien documentée sur "l'affaire Mis et Thiennot" de 1946...
Affaire qui n'est pas sans rappeler "l'affaire Villemin", deux affaires mettant en cause gendarmerie, police, justice surtout... et presse.
Nous y reviendrons plus longuement.
Je viens de refermer le livre et je n'ai pas eu le temps d'écrire tout ce que j'en pense.
Pour aujourd'hui, je me contenterai de mettre en place le décor.
Nous sommes à la fin du mois de décembre 1946, dans un petit village de l'Indre, Mézières-en-Brenne. Le garde-chasse du châtelain vient d'être assassiné. Le maître des lieux, bourgeois-grand seigneur, est Jean Lebaudy, gros propriétaire terrien, important industriel, fabricant de sucre bien connu. Le corps de la victime, dont la femme avait signalé la disparition depuis vingt-quatre heures, est retrouvé criblé de plombs de chasse près de la rivière.
La gendarmerie secondée par la police arrête très vite huit jeunes que des voisins prétendent avoir vu chasser dans les parages, la veille. Ils sont conduits dans des salles d'un bâtiment proche de la mairie aménagé pour l'occasion et ils vont subir pendant plusieurs jours des interrogatoires particulièrement violents dirigés par un commissaire de police ambitieux et à la réputation fort douteuse. L'occupation c'était hier et ses "interrogatoires musclés", les méthodes expéditives, et les individus sans scrupules, les habitudes de silence et la peur sont encore là...
Après plusieurs jours de ce traitement, blessés, à bout de forces, ils avouent mais ils se rétracteront immédiatement devant le juge d'instruction...
Ils portent tous la marque de graves blessures mais, bizarrement aucune constatation médicale officielle ne sera faite…
Au cours du procès en assises à Châteauroux, toutes les anomalies présentées par les avocats sur la base de conclusions d’enquêteurs privés (mais au-dessus de tout soupçon) seront systématiquement écartées, comme sont écartés les témoignages favorables aux accusés. Seul le rapport dressé dans des conditions aberrantes et les « témoignages » à charge sont admis.
Les deux prétendus auteurs des coups de feu mortels, Gabriel Thiennot et Raymond Mis sont condamnés à 15 ans de travaux forcés… Quelques semaines plus tard, les six autres inculpés seront condamnés en correctionnelle à des peines allant de dix-huit mois à deux ans de prison.
La recherche de la vérité continue pourtant, détectives privés, gendarmes à la retraite (et un en activité qui sera sévèrement sanctionné), quelques journalistes, des avocats parviendront à obtenir deux révisions du procès (Poitiers, Bordeaux) qui repartiront sur les mêmes bases et rien ne sera corrigé… Le nom du véritable coupable est dévoilé ainsi que celui du commanditaire, les causes sont révélées ainsi la débilité profonde du principal témoin de l’accusation… l’analyse balistique dévoile l’impossibilité des premières « constatations ». Rien n’y fait : les deux condamnés feront huit ans de bagne ! (avec la grâce accordée par le président Coty) et la plupart des autres leur peine intégrale…
Les juges ne veulent pas défaire ce que d’autres juges ont établi : « les juges de la Cour de Cassation sont rétifs à l’idée de remettre en cause la « vérité judiciaire » résultant d’une décision d’assises » (JC Derey)
Notes personnelles :
1 - Et l’affaire n’est pas terminée !
« Soixante ans après, Raymond Mis (seul survivant…) espère encore être blanchi. Il avait été condamné avec Thiennot pour le meurtre d'un garde-chasse. La justice examinait hier (15/01/07) la cinquième requête en révision de l'affaire.
Au cours de ses conclusions, l'avocat général, Laurent Davenas, a estimé qu'il n'existait pas «d'élément nouveau» suffisant, mais que les circonstances de cette affaire et la qualité de l'enquête effectuée à l'époque pouvaient conduire la commission à «avoir le doute du doute» et à transmettre le dossier à la Cour de cassation. »
Décision en délibéré au 19 mars (2007).
Extrait de l’article de Christophe Boltanski
Dans Libération rubrique « quotidien » : mardi 16 janvier 2007
2 - L’Histoire semble parfois bafouiller…
Comme la justice de notre pays ? Comme la prétendue Justice
Au début de cette rubrique, j’ai noté que cette affaire me rappelait certains aspects d’une autre, plus récente (1984) revenue il y a peu dans l’actualité grâce à une magnifique « docu-fiction » de Fr3 : l’affaire Villemin avec Francis Renaud, remarquable dans le rôle de Jean-Marie, père du petit Gregory assassiné et d’Armelle Deutsch non moins admirable dans celui de Christine.
En quoi cette affaire me paraît-elle avoir une quelconque ressemblance avec la précédente ? En ceci que des policiers (le comportement de la gendarmerie a été cette fois-ci parfaitement honorable, empreint d’un grand professionnalisme) et surtout un juge ont commis, laissé commettre ou couvert un certain nombre de fautes qui ont martyrisé une mère, amené un père à tuer celui qu’il croyait coupable…
Un juge d’instruction faible, fantaisiste et apparemment incompétent, assoiffé de publicité et hypnotisé par des médias déchaînés qui ont joué les boute-feux, réellement pousse-au-crime.
C’est en ici que l'on rencontre la principale différence entre les deux affaires : dans l’affaire Mis-Thiennot, le rôle de la presse a eu beaucoup moins d’importance.
Il faut reconnaître malgré tout, que, dans les deux cas, quelques individus, magistrats, gendarmes, des policiers ou journalistes ont, par leur action, sauvé l’honneur de leur corporation…
Il faut lire l’ouvrage du colonel de Gendarmerie (en retraite) Etienne Sesmat : « les deux affaires Grégory » aux éditions Belfond et celui de la journaliste Laurence Lacour " Le bûcher des innocents". (éditions des Arènes), ce dernier ouvrage a servi de base à la série de Raoul Peck sur FR3
3 - L’affaire est-elle terminée ?
Extrait d'info France 3 -Bourgogne du 09/01/2007 - « Affaire Grégory, pas de réouverture du dossier :
Le procureur général près la cour d'appel de Dijon rejette la demande de réouverture de l'information judiciaire
"Il n'y a pas de charge nouvelle qui permette cette réouverture" vient d'indiquer Hélène Magliano à l'issue de l'audience solennelle de rentrée de la cour d'appel, pour justifier son rejet de la demande de réouverture de l'information judiciaire sur l'assassinat de Grégory Villemin en 1984...
La demande avait été déposée par les avocats de Muriel Bolle, la belle-soeur de Bernard Laroche, qui l'avaient justifiée par le "risque que crée la reprise du déchaînement médiatique" après la diffusion par France 3 d'un téléfilm sur l'affaire Grégory...
Les faits criminels concernant l'assassinat de Grégory Villemin, retrouvé mort le 16 octobre 1984 dans la Vologne, une rivière des Vosges, seront prescrits en avril 2011. »
4 – Mes amertumes…
La Justice avec une grosse majuscule n’existe pas, elle est ce qu’en font les hommes et quand des hommes, faillibles par définition se prennent pour des dieux, ils peuvent se transformer en véritables crapules. Les Olympiens sont-ils souvent autre chose ? Ils sont irresponsables, ils peuvent faire ce qu’ils veulent sans avoir vraiment à rendre de comptes… Ils sont parfois vénaux, le plus généralement bêtement orgueilleux, jaloux de leur pouvoir, de leurs prérogatives intangibles.
Les dieux ont une excuse : ils sont dieux et pour beaucoup de mortels, ils ont l’excuse suprême de ne point exister… Les magistrats et leurs auxiliaires n’en ont aucune, ils agissent au nom de quoi ? Ils détiennent un pouvoir conféré par qui, par quoi ? Des études, les plus machinales de l’Université, un jeu de l’oie de chicanerie en chicanerie, des concours pipés, un pouvoir politique corrompu et omniprésent.
J’exagère ? évidemment…
Je provoque ? naturellement…
D’autres l’ont fait avant moi et avec tellement plus de talent ! Marcel Aymé, par exemple, dont la pièce « La tête des autres » n’est en rien périmée malgré l’abolition, chez nous, du châtiment suprême… relisez, relisez…
Je n’ai aucune estime pour la plupart des institutions ni de ces corps plus ou moins constitués qui prétendent nous défendre et nous asservissent, nous livrent aux appétits des « élus », des fonctionnaires ou des puissants du jour.
Affirmation trop catégorique ? bien sûr…
Tout le reste est littérature et basse épicerie.