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petit roman en vers, parfois... envers et contre tout, toujours

J'aime les poèmes des autres - Au jardin de l'Infante d'Albert Samain






 Du rêve avec un poète peut-être un peu oublié...
I

Mon âme est une infante en robe de parade,

Dont l'exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,
Deux lévriers d'Ecosse aux yeux mélancoliques
Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques
Dans la forêt du Rêve et de l'Enchantement.
 
Son page favori, qui s'appelle Naguère,
Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,
Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,
Elle écoute mourir en elle leur mystère...

Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,
Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres;
Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres
Que recèlent pour nous les nobles horizons.
 
Elle est là résignée, et douce, et sans surprise,
Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,
Et se sentant, malgré quelque dédain natal,
Sensible à la pitié comme l'onde à la brise.
 
Elle est là résignée, et douce en ses sanglots,
Plus sombre seulement quand elle évoque en songe,
Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge,
Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.


Les soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire,
Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,
Pâles en velours noirs sur l'or vieilli des murs,
En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.
 








Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil,
Et dans les visions où son ennui s'échappe,
Soudain - gloire ou soleil- un rayon qui la frappe
Allume en elle tous les rubis de l'orgueil.

Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres;
Et, redoutant la foule aux tumultes de fer,
Elle écoute la vie - au loin - comme la mer...
Et le secret se fait plus profond sur ses lèvres.

Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux,
Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes;
Et par les salles, où sans bruit tournent les portes,
Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.

L'eau vaine des jets d'eau là-bas tombe en cascade,
Et, pâle à la croisée, une tulipe aux doigts,
Elle est là, reflétée aux miroirs d'autrefois,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.
 
Mon Ame est une infante en robe de parade.








II

Je rêve de vers doux et d'intimes ramages,
De vers à frôler l'âme ainsi que des plumages,

De vers blonds où le sens fluide se délie
Comme sous l'eau la chevelure d'Ophélie,

De vers silencieux, et sans rythme et sans trame
Où la rime sans bruit glisse comme une rame,

De vers d'une ancienne étoffe, exténuée,
Impalpable comme le son et la nuée,

De vers de soir d'automne ensorcelant les heures
Au rite féminin des syllabes mineures.

Je rêve de vers doux mourant comme des roses.








Albert Samain (1858- 1900) poète français disciple de Baudelaire et de Verlaine
Les Ménines de Vélasquez (détail) - 1656
Palais-monastère de l'Escorial de Philippe II (peinture de l'école espagnole du XVII ème siècle)
illustration de B. Neibecker
tableau de John Everett Millais : Ophelia -1852
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L
<br /> J'ai découvert ce blog par hasard sur écureuil bleu, et suis venue faire une petite visite...<br /> <br /> <br /> Très beaux poèmes, mais Albert Samain, comme tu le dis est malheureusement un peu tombé aux oubliettes aujourd'hui, c'est dommage, nous, nous l'apprenions en classe primaire!<br /> <br /> <br /> Merci de le faire connaître ou re-connaître...<br />
Répondre
J
<br /> <br /> bonsoir Livia,<br /> merci de ta visite et de tes mots<br /> oui, il y a tant de poètes oubliés qui méritent un hommage...<br /> j'eesaie de la faire de temps en temps<br /> amicalement<br /> jean-marie<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Un beau poème sur l'âme et ses tourments, et des illustrations bien choisies!<br />
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J
<br /> <br /> bonsoir, Mansfield,<br /> merci de ta visite<br /> oui, ce poème est très beau<br /> il est dommage que le poète soit aujourd'hui un peu oublié<br /> amicalement<br /> jean-marie<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Très beau poème. Merci de nous l'avoir fait découvrir.<br />
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J
<br /> <br /> j'aime beaucoup ce poème<br /> Albert Samain est aujpurd'hui injustement ignoré<br /> ton blog est très beau ert très intéressant<br /> je reviendrai<br /> bises amicales<br /> jean-marie<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Je viens d'arriver sur ce blog; bien agréable; et belle idée de redonner un peu de couleurs à ce poète; suis intéressée par la poésie; bonne journée !<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> bonsoir Carine-Laure,<br /> merci de ta visite<br /> merci pour tes mots<br /> j'aime bien redécouvrir des poétes oubliés, injustement le plus souvent...<br /> amicalement<br /> jean-marie<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Il écrivait des poèmes comme un dieu<br /> <br /> <br /> Il habitait à moins de six lieues<br /> <br /> <br /> Alors,<br /> <br /> <br /> j'ai eu l'idée de lui demander<br /> <br /> <br /> Samain...<br /> <br /> <br /> Loop<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> bonsoir, chère Peneloop,<br /> merci pour ces vers<br /> c'est très agéable et amusant<br /> bonne soirée<br /> bises amicales<br /> jean-marie<br /> <br /> <br /> <br />