Blousons noirs
nous portions blousons noirs
car c'était la coutume
mais nous ne pouvions pas acquérir le costume
c'était un désespoir
du mec à la moto que nous chantait la Môme
mais nous faisions les hommes
pour nous faire bien voir
nous n'avions pas de thune
et nous nous contentions du nylon d'infortune
pour notre blouson noir
nous étions en avance
mais nous étions jeunes refusant tout futur
nous étions beaux peut-être et c'était la souffrance
d'être sans espoir enfermés dans des murs
ceux attardés de notre adolescence
nous prétendions n'être que des durs
elles en cachaient trop nos belles gueules d'anges
maladroits
nous jouions à rouler dans la fange
nous voulions avoir tous les droits
et nous n'admirions pas les gens comme mon père
qui passaient une vie à casser des cailloux
qui traînaient derrière eux longue vie de misère
qui n'avaient d'autre espoir que de vivre à genoux
et nous les méprisions parfois de leur galère
nous voulions tous passer pour des voyoux
nous détestions la terre entière
nous voulions ressembler à ceux du cinéma
nous rêvions à Servais Gabin et Ventura
nous apprenions leur langue et leurs manières
dans les films de ce temps braqueurs et maquereaux
trafiquants en tout genre étaient nos seuls héros
cela ne se voit pas sur toutes nos images
nous en sommes sortis
nous croyons avoir tourné la page
mais nous restons aigris
avons-nous des regrets de cette époque amère
l'Algérie avant l'heure était notre Vietnam
nous pensions défendre notre terre
je voulais croire à notre dévouement
malgré notre cynisme et tous nos reniements
à notre mission altière
cherchions-nous avant tout à sauver notre peau
n'étions-nous vraiment que de pauvres nigauds
aujourd'hui dans le fond nous n'avons rien compris
nous n'en savons pas davantage
la vie nous a meurtris
la vie nous a changé est-ce à notre avantage
et sommes-nous meilleurs car nous avons vieilli
devenus plus laids à la fin du passage
si c'est bien ça la vie quel est son intérêt
on m'a dit et je le tiens pour vrai
qu'il y a toujours un malheur une peine
plus terrible que ce qui nous entraîne
la vie n'est rien d'autre que ce passage étroit
pourrait-on concevoir une fin sans effroi
le dernier maillon de la chaîne
la tête sur le billot
nous crèverons idiots